Plan d’intervention par les forces en contexte SIM: pouvoir d'agir ou rapport de pouvoir?
INTRODUCTION
Je fais mon stage de formation pratique III au CLSC Hochelaga-Maisonneuve, dans le programme de suivi intensif dans le milieu (SIM), auprès des personnes ayant un trouble de santé mentale grave et complexe. Un élément central au SIM est de travailler en équipe interdisciplinaire. Les responsabilités sont partagées et les professionnelles agissent autour du même plan d’intervention pour chaque usager. Le mandat vise le rétablissement de la personne par le traitement, la réadaptation et le soutien dans la communauté. (Jackson et Lagacé, 2021) Ce texte a pour but de faire une analyse critique du plan d’intervention par les forces en contexte interdisciplinaire au SIM.
SITUATION D’INTERVENTION
Pour faire suite à l’évaluation du fonctionnement social de monsieur X, présenté dans mon analyse critique précédente, j’ai réalisé en collaboration avec monsieur son plan d’intervention par les forces. Concrètement au SIM, comme les plans d’interventions sont interdisciplinaires, cela veut dire que tous les professionnels de l’équipe vont intervenir auprès de monsieur à un moment ou à un autre. Cependant, une mini-équipe de professionnel est formée dans le but d’apporter un suivi plus serré. Celle-ci est composée du pivot, moi-même qui est la première personne-ressource et de trois autres professionnels, soit une éducatrice spécialisée, une travailleuse sociale et un infirmier.
Selon les étapes du processus d’intervention individuelle, le plan d’intervention suit l’évaluation du fonctionnement social. (Tremblay, 2017) Ainsi, avant de se mettre en action il est primordial de planifier nos interventions en élaborant un plan d’intervention en co-construction avec la personne. Ce plan d’intervention est encadré légalement par notre profession. Selon l’association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux, nous devons miser sur l’autodétermination, l’autonomie de la personne et devons-nous assurer de donner toute l’information par rapport à l’intervention proposée afin d’avoir son consentement éclairé (ibid).
La première étape du processus d’élaboration du plan d’intervention par les forces, le modèle utilisé au SIM, était de faire l’inventaire des forces avec monsieur, dans les différents domaines de vie. À partir de ceux-ci monsieur a exprimé ses priorités de besoins ce qui nous a servi de guide pour ses objectifs, soit améliorer sa situation financière et faire du sport. La prochaine étape était de faire une rencontre avec la mini équipe, afin de discuter de ce qui était ressorti de cette rencontre et apporter notre point de vue sur les objectifs. Étant donné qu’un de nos mandats est d’assurer l’adhérence au traitement, nous avons discuté de comment aborder la sphère de la santé mentale avec monsieur pour l’ajouter comme 3e objectif, même si cela n’était pas un désir pour lui. Rappelons-nous que monsieur ne se considère pas malade et attribut la schizophrénie à quelque chose de normal dans sa culture. Nous avons proposé en équipe de proposer l’objectif comme suit : maintenir une bonne santé mentale. Lors de l’élaboration du plan d’intervention avec monsieur, j’ai cherché à co-construire le plus possible avec lui. Pour ce faire nous sommes parties de son inventaire des forces pour mettre de l’avant les deux objectifs qu’il souhaitait et les avons écrits dans ses mots. Lorsque j’ai proposé l’objectif sur la santé mentale, monsieur s’est mis à rire, car cela ne faisait pas de sens pour lui. J’ai alors utilisé l’approche interculturelle et j’ai réussi à négocier un sens commun de la santé mentale. Nous avons changé le terme santé mentale par santé psychique, ce qui a favorisé la co-construction de l’élaboration de cet objectif.
ANALYSE CRITIQUE
Dans ce chapitre, une critique du modèle de plan d’intervention par les forces, basé sur l’approche par les forces sera faite. Pour se faire un retour à l’origine de l’intervention par les forces en santé mentale sera abordée. Depuis 2005, le rétablissement est au cœur des plans d’action en santé mentale. (MSSS, 2017) Il vise le pouvoir d’agir des personnes, leur prise de contrôle sur leur vie et leur maladie et leur pleine participation à la vie collective (ibid). Il existe quatre niveaux de représentations du rétablissement et celui-ci correspond en partie au rétablissement biomédical. (Bergeron-Leclec, 2019) En bref, le diagnostic est requis pour se faire traiter, on vise le rétablissement du trouble et des symptômes et on priorise la médication dans l'intervention. (ibid) Le suivi intensif dans le milieu joue un rôle central dans l’orientation des services axée sur le rétablissement des personnes et cela se concrétise par l’approche par les forces. (Khoury et Chaput, 2021) Celle-ci considère que le meilleur chemin pour arriver au rétablissement passe par son pouvoir d’agir et les forces de la personne. Six principes gouvernent cette approche 1) axée sur les forces et non sur les problèmes, 2) la personne est capable de transformer sa vie, 3) elle est maitresse de sa vie, 4) le lien de confiance est essentiel dans la co-construction des interventions, 5) favoriser les interactions dans la communauté et 6) utiliser les forces de l’environnement et voir la communauté comme une oasis de ressources. (ibid)
D’une part, il est important d’avoir un regard critique sur la définition du rétablissement proposé par le plan d’action en santé mentale. La genèse de cette notion prend forme dans les années 1980-1990, à travers trois processus, dont le mouvement antipsychiatrique des années 70. (Bergeron-Leclec, 2019) les ex-patients, par le militantisme avaient trouvé la « voie » du rétablissement, pour défendre leurs droits. Aujourd’hui la notion du rétablissement a été déformée par les gestionnaires qui cherchent à réduire son sens historique par des principes de réadaptation et biomédicaux (ibid). L’approche par les forces et la vision individualisante du rétablissement misent sur le seul pouvoir d’agir de la personne vue comme la première responsable de la réalisation de ses objectifs. Si nous ne considérons pas les dimensions macrosociales du rétablissement, on garde dans l’ombre l’impact des déterminants sociaux de la santé mentale et limite la possibilité de transformer les structures qui génère des injustices sociales.
De plus, il y a une retombée de rapports inégalitaires. Certaines personnes peuvent ne pas se reconnaitre dans cette vision du rétablissement. En imposant notre perception du rétablissement aux personnes qu’on accompagne, on considère que notre savoir d’expert est supérieur au savoir expérientiel des personnes accompagnées. Cela s’est concrétisé dans l’exemple plus haut où dans le processus de l’élaboration du plan d’intervention, la mini-équipe s’est rencontrée pour orienter les objectifs de rétablissement de la personne, même si cette direction n’était pas un choix pour elle. Il faut se questionner sur l’application de l’approche par les forces qui est supposée mettre de l’avant le pouvoir d’agir de la personne. Dans un processus d’empowerment selon Lemay, (2007) nous devons rééquilibrer les relations de pouvoir et viser une relation égalitaire entre l’intervenant et la personne. (Lemay, 2007) Pour ma part, je considère avoir fait un bout de chemin pour redonner du pouvoir à monsieur en négociant l’objectif de la santé mentale, en partant de ses propres représentations culturelles. Je pense que malgré tout l'approche par les forces a aidé monsieur à comprendre qu'on ne s'intéressait pas juste à sa maladie, mais qu'on cherchait à mettre de l'avant ce qu'il a réussi dans la vie. Cela à facilité le lien de confiance. En mettant l'accent sur son inventaire de forces, cela m'a servi de levier dans le processus de son plan d'intervention. Monsieur dit être motivé à un niveau 6 sur 10 pour se mettre en action dans ce projet.
Pour ce qui est de l'étape de l'exécution de l'action, cela est un défi en contexte d'interdisciplinarité. D'une semaine à un autre, chaque intervenant de l'équipe fera son suivi. Plusieurs défis en ressort. La personne n'a pas développé de lien de confiance avec toute l'équipe ce qui peut l'amener à refuser de se mettre en action et à s'exprimer sur certains sujets. Cela peu être un frein à sa motivation. Chaque professionnel a sa façon d'intervenir, ce qui peut parfois causer des frictions dans la cohérence des interventions. Il arrive aussi qu'un intervenant ne tienne pas toujours à jour les interventions qu'il a faites et ce qu'il doit être fait pour la prochaine rencontre, par manque de temps. Il peut donc être difficile de se retrouver dans les étapes de nos interventions, ce qui est un obstacle à l'atteinte des objectifs.
CONCLUSION
Selon les principes de base dans l’élaboration d’un plan d’intervention, le système-client doit participer à toutes les étapes de la mise en œuvre du plan d’intervention. (Tremblay, 2017) Le plan d’intervention appartient à la personne il doit refléter ses finalités, son projet de vie à partir de sa propre vision du rétablissement pour lui redonner du pouvoir d’agir. En imposant un objectif, on perpétue les relations de pouvoirs hiérarchiques et cela reflète à la personne qu’elle n’est pas apte à faire ses propres choix pour son bien-être, ce qui tend à l’infantilisation. (ibid)
Comment arrimer la vision du rétablissement des personnes et celle de notre organisation?
BIBLIOGRAPHIE COMMENTÉE
Bergeron-Leclec, C. (2019). Le rétablissement en santé mentale, représentation, compétence et stratégies d’intervention à privilégier. La pratique du travail social en santé mentale : Apprendre, comprendre, s’engager. Québec, Presses de l’université du Québec. Récupéré de https://www-jstor-org.proxy.bibliotheques.uqam.ca/stable/j.ctvjk2vfh.11?seq=1#metadata_info_tab_contents
(Comprendre la genèse de la notion du rétablissement ce qui permet de réaliser comment elle a été transformée par les gestionnaires entrainant un déracinement du sens collectif et politique. Cette notion est au cœur de l’approche par les forces en santé mentale)
Jackson, O. et lagacé, G. (2021). Suivi intensif dans le milieu. Santé et Services Sociaux du Québec.
(Référence pour expliquer le mandat du SIM)
Khoury,E. et Chaput, M. (2021). L’approche par les forces en santé mentale : entre confrontation et découverte sur le terrain. Intervention 2021, numéro 153, p.43-60. Récupéré de
(Comprendre le rôle central de l’approche par les forces dans la vision du rétablissement)
Lemay, L. (2007). L’intervention en soutien à l’empowerment : du discours à la réalité. La question occultée du pouvoir entre acteurs au sein des pratiques d’aide. Nouvelles pratiques sociales, volume 20, numéro 1, automne 2007, p. 165–180. Récupéré de
(Comprendre les enjeux relié à l’empowerment et des pistes d’actions)
MSSS, 2017, Faire ensemble et autrement, plan d’action en santé mentale. 2015-2020. Québec. Récupéré de https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/document-001319/
(Aider à comprendre leur vision du rétablissement en santé mentale)
Tremblay, J. (2017). L’élaboration du plan d’intervention. Dans Turcotte et Deslauriers, Méthodologie de l’intervention sociale personnelle. (p.83-105).Québec, Presse de l’Université Laval.
(Comprendre la visée du plan d’intervention et ses principes de bases, encadré par un cadre légal)
Coucou :)
RépondreSupprimerJ’ai vraiment aimé ta critique ! Je trouve que c’est un plus que ton milieu se penche sur les forces de la personne pour la rédaction du PI, c’est une approche pertinente qui est manquante dans le PI de mon milieu. J’ai bien aimé le fait que tu nommes les six principes qui gouvernent l’approche par les forces (Khoury et Chaput, 2021), car je ne les connaissais pas et j’aimerais maintenant approfondir mes apprentissages sur cette approche très intéressante. On voit bien dans ta critique que tu as à cœur le discours de cet homme et que tu tentes davantage de comprendre sa réalité. J’aime le fait que tu as mis de l’importance sur le fait d’utiliser l’approche interculturelle avec celui-ci. J’utilise aussi l’approche interculturelle avec certaines usagères, et ce, même si elles sont d’origines québécoises. Comme nous l’avons appris dans le cours TRS1350 avec M.Tadlaoui, l’interculturelle à un sens très large. Intervenir auprès d’une personne vivant avec des problématiques de toxicomanie entre dans l’intervention interculturelle, par exemple (Flores-Amanda, 2020). La question que tu soulèves à la fin de ton travail est très pertinente et bien honnêtement je ne sais pas comment y répondre, mais je vais me pencher sur celle-ci. C’est très difficile d’accommoder tous les acteurs d’une situation, surtout quand il y a des facteurs de risques pour la sécurité d’autrui et des problématiques graves en santé mentale en jeu.
Bibliographie :
Flores-Aranda, J. (2020). Toxicomanies, dépendances et enjeux psychosociaux en travail social, TRS3150, Séance 1 à 13. Université du Québec à Montréal, École de travail social.
Tadlaoui, Jamal-Eddine, scéance I à X 2019. Cours Intervention sociale et relations interculturelles. Montréal : Université du Québec à Montréal.
Khoury,E. et Chaput, M. (2021). L’approche par les forces en santé mentale : entre confrontation et découverte sur le terrain. Intervention 2021, numéro 153, p.43-60. Récupéré de https://revueintervention.org/numeros-en-ligne//153/lapproche-par-les-forces-en-sante-mentale-entre-confrontation-et-decouverte-sur-le-terrain/